la relation vénale, c'est du sexe immédiat contre de l'argent.
Jusqu'ici tout est simple dans cette équation:
Pognon=crac-crac pour le client,
crac-crac=pognon pour la vénale
Mais ça se complique parce que dans nos sociétés (non je ne
dis pas judéo-chrétienne) occidentales, on nous dit depuis quelques
siècles et des milliers de films:
crac-crac=amour et amour=crac-crac
Et en effet, pour arriver au sexe sans payer, nous avons
développé entre hommes et femmes toute une cour, un rituel de séduction
et de complicité mutuelle, qui fait que nous sommes tombés amoureux les
uns des autres.
Bien sûr, il y a les coups d'un soir mais tous n'y arrivent
pas - leur magnétisme animal (attraction) ou leur libido (pulsion) ne
sont pas assez forts pour arriver à leur fin.
Donc on fait le beau, on visite une expo, on invite au restau, on finit au dodo. Entre non vénaux.
Et en principe, on couche avec quelqu'un avec qui on partage des valeurs des affinités, qu'on respecte et qu'on apprécie, etc.
Mais notre envie de variété et de chair ferme est trop forte
et on se choisit une vénale qui nous épargne les préliminaires sociaux
fastidieux.
Et nous voilà en train de besogner une très belle femme quand tout à coup, l'équation
sexe=amour=connaissance et respect mutuel=moments et souvenirs partagés
resurgit - pourquoi?
Tout simplement parce qu'à nos âges (je parle des trentenaires
et plus), nous l'avons pratiqué encore, et encore et encore et encore:
la plupart du temps, nous avons couché avec des femmes que nous
aimions.
Donc sexe=amour
Heuh, non réfléchit, là: cette vénale, tu la connais pas
rapelle-toi, cher client:
pognon=sexe
Oui mais le pognon, je l'ai plus, je viens de lui donner: j'ai
le sexe, là. Donc comme pincemi et pincemoi sont dans un bateau et que
pincemi tombe à l'eau, il reste quoi?
le sexe, rien que le sexe. Mais l'équation de la vénale
(sexe=pognon) ne marche pas pour nous car le sens de notre équation est
unique: pognon égale sexe, mais pas l'inverse
Alors, sexe=quoi pour le client?
un vide se crée, et l'équation devient une équation à une inconnue (qu'il est en train d'honorer de son mieux)
sexe=x
trouver x!
x que le client s'empresse de combler par le seul terme de l'équation précédente, celle d'avant les vénales
Ben, voui, la seule chose dont on croit se souvenir alors c'est que
sexe=amour
Car nous avons, dans notre vie normale, l'habitude de pénétrer
le corps de celle avec qui nous avons visité Florence, couru sous la
pluie un soir d'été et bu cette bonne bouteille de vieux bordeaux.
Et d'un coup de braguette magique, le sentiment revient au
galop (l'inverse se produit avec celle qu'on aime gratuitement, le
bestial hygiénique s'imisce dans le romantisme relationnel)
Et c'est ainsi que nous qui avions sciemment fait l'économie
du sentiment (avec une vénale c'est pas compliqué, ouf, heureusement
que j'ai pas à lui dire qu'elle est belle toute les 5 minutes et à
écouter ses problèmes de bureau avec son chef) nous y sommes
imperceptiblement attirés. C'est vrai qu'elle est belle! Et au fait,
avec ton chef, ça se passe comment?
On serait donc tenté de s'amouracher d'une vénale:
- Par l'habitude, comme notre expérience précédente avec les gratuites nous l'a inculqué
- Par culpabilité: on a un peu honte de
s'avouer que, sans sentiment, on ne fait que se masturber dans le vagin
d'une inconnue consentante (dur d'accepter le simple vidage de
couilles)
- par ADN, peut-être: l'acte reproductif
depuis des millénaires se conduit en principe avec la femme que nous
voulons engrossé, donc choisie pour ses qualités de robustesse, mais
aussi de confiance au danger, et pour l'envie qu'elle suscite en nous
de partager nos vies et le produit de la chasse et de la cueillette.
- par vanité, aussi: on l'a payée, mais ça
serait tellement mieux si, en plus, elle nous trouvait formidable. Et
si elle voyait à quel point nous sommes "aimables" au-delà du pognon.
Dur d'être nié, en tant que client, comme être humain: nous qui avons
partiellement réduit une jeune femme à ses orifices et son service
sexuel (on se fout un peu de son signe astral et de ses rêves persos)
nous aprecevons tout à coup qu'elle nous a réduit à une bite avec un
portefeuille et cette réduction nous est pas très facilement
supportable.
Un peu comme si on l'appelait après le rendez-vous pour lui
dire: tu sais je suis intelligent, je donne au téléthon, je connais la
mosaïque Byzantine et j'adore Paul Auster. Je t'assure que je trompes
ma femme et que je te paye pour que tu ouvres les jambes, mais au fond,
je suis vraiment un mec bien.
D'ailleurs, beaucoup d'entre nous cherchent des libertines
rémunérées et des occasionnelles pour avoir moins de compteur, plus de
social-time, plus d'entrevues préalables pour en quelque sorte
minimiser la part sexe=pognon et pognon=sexe et en faire un moment
câlin, complice et sympa dans lequel la transaction monétaire, bien que
respectée, n'a plus d'importance et s'évapore pudiquement. Parce qu'on
est tous deux formidable.
Et inconsciemment, on modifie l'équation qui s'approche de:
sexe=amour - [emmerdes-responsabilité-suivi-dépendance-bellemère-mômesàs'occupperetàs'inquiéterpour] + pognon
J'imagine que pour certaines vénales, c'est aussi plus
valorisant de se dire: s'il n'y avait pas eu le blé, je me serais
laissée tenter de toutes façons et là en plus, youpi, y'a du pognon!
Mais je l'apprécie, il m'apprécie, et le pognon n'est plus
qu'une garantie de ne pas avoir d'attaches, de scènes de jalousie et de
perte d'indépendance mutuelle.
En résumé: en tant que client, on va aux
vénales pour nous débarrasser de toute la fausseté et de l'hypocrisie
des sentiments des relations gratuites, qui nous servait à baiser
gratos.
Mais une fois qu'on y est, on veut (souvent) tomber amoureux
de cette femme qui est avant tout un être humain et qu'on suppose
intéressante dans la vie non sexuelle puisqu'on a couché avec et qu'on
a par ailleurs pris l'habitude de coucher avec des filles avec qui on
est bien (c'est assez rare qu'on drague quelqu'un qu'on ne peut pas
supporter: on est faux-jeton mais pas à ce point là).
En encore plus résumé:
on veut tirer un coup en montant l'escalier, on veut être amoureux en le descendant
Qu'en pensez-vous?