Toute la nuit, des hordes de motos vrombissantes, drapeaux rouges flottant dans le vent, ont parcouru les
avenues de Caracas. Les
"motorizados" fêtent la victoire d'Hugo Chavez.
Le président vénézuélien vient de remporter le référendum du dimanche 15 février et sera donc candidat en 2012. Les portraits du chef de l'Etat et du Che ornent les tee-shirts. L'ambiance est encore bon
enfant. Malgré la
"loi sèche" qui interdit la vente d'alcool les jours de scrutin, les bouteilles de rhum circulent.
En temps normal, la plupart des motorizados de Caracas font le taxi.
Pour les habitants de la capitale vénézuélienne, leurs engins sont devenus un moyen de transport courant. Dangereux et cher, certes, mais rapide. A tous les carrefours importants, un troupeau de motos attend le client. Le plus souvent, un panneau cabossé et grossièrement peint à la main informe qu'il s'agit d'une station de moto-taxi. En son absence, l'un des motards vend le service à la criée.
Avis aux amateurs de sensations fortes : slalom serré entre les voitures et les piétions, feux rouges brûlés, rues en sens interdit, autoroute interdite aux deux-roues, le tout, évidemment, à vive allure. L'adrénaline est garantie.Le nombre de motorizados a explosé depuis trois ans. Faute de registre officiel, personne ne sait combien ils sont. Spécialiste de l'économie informelle, Alfredo Padilla avance le chiffre de 20 000.
"Le développement des motos-taxis est une manifestation de plus de la créativité du secteur informel pour s'ajuster aux besoins du moment, en l'occurrence à la crise du transport à Caracas", explique-t-il.
Cinq ans de croissance et de consommation débridée ont fait exploser le trafic de la capitale de ce pays pétrolier. En 2007, il s'était vendu un demi-million de voitures au Venezuela, 295 000 en 2008.
DANGERS PUBLICS
Jorge Sayas, 32 ans, a lâché son boulot de gardien de nuit pour s'acheter une 200 CC, un modèle qui coûte
5300 bolivars forts (1 950 euros). Il fait une douzaine de courses par jour et gagne en moyenne 250 bolivars (92 euros), le double les bons jours,
"quand le métro tombe en panne à cause des coupures d'électricité". Le salaire minimum est de 800 bolivars (295 euros). Au Venezuela, l'essence est quasiment gratuite.Les chauffeurs de taxi, les vrais, au volant de leur voiture, sont furieux.
"Ces motos sont des dangers publics. Ils ne respectent pas la signalisation.
Et si jamais vous avez un accrochage avec l'un d'eux, gare à vous ! Ils arrivent tous en masse", raconte Luis Contreras. Dans les rues de Caracas comme ailleurs, la solidarité entre motards fait loi.
"Le développement des motos-taxis pose aux autorités municipales un défi majeur, en matière d'espace public, d'organisation du trafic, de sécurité. La régulation est à la traîne", note M. Padilla, qui travaille comme conseiller technique à la mairie de Sucre, une des cinq mairies d'arrondissement de Caracas. Devenir moto-taxi est facile,
"il suffit de coller une étiquette qui dit taxi sur le guidon", résume Jorge Sayas. Certains motorizados ne travaillent que de 18 à 20 heures, en sortant du boulot, et le week-end.Le nombre de motos neuves a augmenté beaucoup plus vite que les pièces de rechange disponibles sur le marché. Résultat : un trafic de motos volées et revendues en morceaux a vu le jour.
"Le vol des motos est devenu un vrai fléau, assure un policier qui patrouille dans la zone de Chacaito. Les bandits n'hésitent pas à tirer pour s'en procurer une."L'impulsion donnée par le gouvernement Chavez aux coopératives a fourni un cadre à l'activité des motos-taxis. Les motards vivent tous dans les
"barrios", ces quartiers pauvres qui surplombent Caracas. Cette
"force motorisée" au service du "chavisme" inquiète les opposants. Mais elle est bien utile pour arriver à l'heure au bureau, avoue José Bellini, cadre d'entreprise férocement "anti-chaviste".