Dans la petite station-service anonyme datant des
années 60 à Ilulissat, dans l'ouest du Groenland, les 4x4 défilent pour
faire le plein d'essence à ...3,77 couronnes danoises le litre, c'est à
dire 60 centimes d'euros."Et
encore je trouve le prix un peu élevé", dit Julius Saldgreen, 49 ans,
au volant de sa jeep, qui vient de chercher ses deux filles à l'école.Pourtant
il ne s'agit ni de promotion ni d'opération coup de poing, mais de prix
normaux au Groenland, la plus grande île au monde, peuplée de 57.000
habitants seulement.A titre de comparaison, le litre de sans plomb 95 s'est vendu 1,52 euro en France et 1,49 euro en Allemagne cette semaine. Et le diesel 1,45 et 1,48 euro respectivement.Le
gouvernement local du Groenland, territoire danois d'outre-mer qui
bénéficie d'une autonomie interne depuis 1979, a décidé depuis
longtemps d'avoir le monopole de la distribution d'énergie, détaxant
non seulement le super, mais aussi le gazole et le mazout pour le
chauffage."Nous le faisons afin de venir en aide notamment aux
chasseurs et pêcheurs qui ont de faibles revenus, et parce que les
conditions de vie en Arctique sont difficiles avec de longs hivers très
rigoureux", a expliqué à l'AFP Hans Enoksen, chef du gouvernement local
groenlandais.Pour maintenir ces bas prix hors taxes même dans
les coins les plus reculés de l'île, le gouvernement local a signé des
contrats longue durée à prix stable avec les compagnies pétrolières et
entreposé d'énormes quantités de pétrole dans ses nombreux réservoirs
disséminés le long de ses côtes.Une "attitude sage" saluée par
les Groenlandais. Mais certains sont mécontents, à l'instar de Jan,
l'un des 30 chauffeurs de taxi d'Ilulissat, qui trouve que "le prix du
carburant a trop augmenté ces derniers temps", de 5 oeres (centimes de
couronnes) par litre.Per, son collègue ne partage pas cet avis,
estimant le prix à la pompe à sa juste mesure. "Mais il ne faudrait pas
qu'il atteigne les 5 couronnes comme c'était le cas il y a quelques
années, ce qui avait entraîné notamment des protestations des pêcheurs
qui ont bloqué l'usine de conditionnement des produits de la mer Royal
Greenland afin de l'obliger à augmenter ses prix d'achat du poisson,
seul moyen de contrer la hausse du gazole"."Une augmentation des
prix de l'essence conduirait à une hausse des prix de transport, et une
relance de l'inflation. Elle pénaliserait les consommateurs, et surtout
les pêcheurs et chasseurs déjà touchés par le réchauffement climatique
qui menace leur gagne-pain", explique-t-il.A Ilulissat, ville
classée au patrimoine mondial de l'humanité, dans le port de pêche où
sont amarrés des bateaux colorés pêchant flétan et crevettes, les
pêcheurs paient leur gazole au quai au même prix que l'essence."Sinon
on aura du mal à joindre les deux bouts d'autant que le réchauffement
climatique fait reculer le glacier d'Ilulissat", parmi les plus actifs
dans le monde, déversant ses icebergs qui se brisent en mille morceaux
et tapissent le fjord, "où on a beaucoup de mal à naviguer en ce moment
et placer nos lignes", explique Knud Kruse, 41 ans, pêcheur depuis
l'âge de 19 ans."Je pense que nos dirigeants comprennent bien
qu'on a besoin de carburant bon marché sinon ce serait étouffer ce
métier, le premier des insulaires depuis la nuit des temps",
estime-t-il, car "lorsqu'on nous paie le flétan à 6,25 couronnes (90
centimes d'euros) le kilo, la moindre augmentation du gazole nous
touche de plein fouet".