Ces deux
termes, souvent confondus, relevent pourtant de deux domaines tres differents, quoique non denues de
rapports.Une clarification de ces notions parait indispensable, quand on
s'aperçoit que sous l'un ou l'autre mot, on range indifferemment magie,
astrologie, kabbale, yoga, religions orientales, OVNI ou encore
sophrologie…
OccultismeSi le mot apparait des 1842 dans le "
Dictionnaire des mots nouveaux " de Jean-Baptiste Richard de
Radonvilliers, c'est
a Eliphas Levi que l'on doit l'essentiel du contenu de ce terme.
Alphonse-Louis Constant (1810-1875) commença sa carriere par le
seminaire, qu'il quitta apres son diaconat puis, apres une periode de
journalisme politique pro-revolutionnaire (qui lui valut un sejour en
prison), il entama une longue recherche interieure qui aboutit en 1856
a la publication, sous le nom d'Eliphas Levi, de " Dogme et rituel de
la Haute Magie ". Il theorise en occultisme les sciences occultes, nees
ou redecouvertes
a la Renaissance. Le mouvement occultiste français (qui deviendra
europeen par la suite) venait de naitre, et connaitra son
age d'or entre 1880 et la premiere guerre mondiale (periode pendant
laquelle le mot occultisme sera utilise parfois en lieu et place
d'esoterisme, ce qui ajoute encore
a la confusion). L'occultisme entre alors en resistance contre la "
modernite ",
a laquelle il est reproche d'avoir choisi le materialisme et le
rationalisme aux depends de la spiritualite.
Ce mouvement va donc reprendre le champ des sciences occultes des 15eme - 17eme siecles,
et s'approprier les espaces laisses en friche par l'echec de la
constitution d'une science catholique au 19eme siecle. Les disciplines
couvertes par l'occultisme sont par nature extremement diverses :
astrologie, magie, tarot, kabbale, hypnose, spiritisme (bien qu'il
s'agisse d'un cas un peu particulier), tout cela
etudie, souvent avec plus d'enthousiasme que de competence, par
d'etonnants personnages, d'Eliphas Levi lui-meme
a l'inevitable Papus (Gerard Encausse), en passant par Stanislas de
Guaita et Barlet. Dans le meme temps apparaissent de nombreux
groupuscules, mouvements ou societes qui se veulent initiatiques (et
qui ne le sont pas toujours), souvent en milieu maçonnique : Societe
theosophique, Ordre martiniste, Golden Dawn, Builders of the Adytum,
Fraternite hermetique de Louxor, Societas Rosicruciana in Anglia,
divers ordres " rosicruciens ", Franc-maçonnerie marginale (surtout
egyptienne), Eglises gnostiques (parfois reellement apostoliques)… De
l'autre cote du mouvement, colonialisme europeen oblige, on releve un
interet de plus en plus grand pour les traditions orientales, le
chercheur typique de ce courant
etant Albert de Pouvourville, dit Matgioi (initie a certaines societes
secretes chinoises).
Ce foisonnement anarchique finit par porter tort au
mouvement.
Les ambitions sociales clairement affichees de certains occultistes
(Papus en tete), leur opposition
a la fois aux Eglises en place et aux obediences maçonniques laicisees,
les querelles et les jalousies entre les multiples ordres et societes,
les accusations de satanisme, et enfin l'incapacite de l'occultisme
a trouver sa place entre science et religion (qu'il pretendait
unifier), mirent un terme
a sa vitalite. En reaction, certaines personnes liees a ce mouvement
voulurent revenir plus rigoureusement aux textes originaux et
initierent une reflexion sur la notion de Tradition, ouvrant ainsi la
voie, par Paul Vulliaud mais surtout Rene Guenon,
a la nette distinction entre occultisme et esoterisme.
EsoterismeLe terme, une fois encore, apparait en français au 19eme siecle.L'etymologie reste incertaine ou les interpretations controversees, son
contenu lexical assez pauvre, la longue confusion entre
esoterisme, occultisme voire marginalite religieuse, ne facilite pas la
definition du mot. D'autant plus lorsque un auteur aussi competent en
la matiere que Robert Amadou, publie en 1950 un livre intitule "
L'occultisme ", qui fait le point sur ce qu'il est convenu d'appeler
aujourd'hui…
esoterisme.
Deux universitaires (dont les ouvrages sont cites en bibliographie)
donnent chacun leur definition, partant de deux points de vue
differents.
Antoine Faivre, qui tient la chaire "
d'etude des courants
esoteriques modernes et contemporains " a l'EPHE, Veme section, prend
comme limite l'occident latin depuis le 16eme siecle, et a choisi les
criteres suivants pour definir l'esoterisme :
Les correspondances : microcosme/macrocosme, reprenant une phrase de la
celebrissime table d'emeraude : " Ce qui est en haut est comme ce qui
est en bas, et ce qui est en bas est comme ce qui est en haut " ;
La nature vivante : autrement dit la magie, mais comprise ici comme la
science des relations d'antipathie et de sympathie entre les differents
elements de la nature ; surtout presente chez les theosophes allemands ;
Imagination et mediation : notion de transmission, importance des intermediaires ;
Transmutation : changement de plan et de nature ;
Concordance : mise en relation ou recherche de points communs entres differentes traditions ;
Transmission : initiation et chaine initiatique
Le Philosophe Pierre Riffard, lui, considere l'esoterisme comme universel, ce qui est conteste par Faivre, qui estime que ce que l'on traduit en Orient par
esoterisme recouvre d'autres notions. Riffard propose huit criteres, qu'il nomme invariants :
L'impersonnalite de l'auteur
Opposition esoterique/exoterique
Le subtil
L'analogie
Le nombre
Les sciences occultes (arithmosophie, theosophie,
astrosophie…)
Les arts occultes (alchimie, magie…)
L'initiation
Malgre l'opposition de ces point de vue,
on retiendra l'importance de certains criteres : l'analogie (base de la
" pensee magique ") et l'initiation, qui vehicule l'idee selon laquelle
tous n'ont pas acces
a la Connaissance, et implique un certain elitisme. Ces deux termes ne
sont sans doute pas suffisants pour definir l'esoterisme, mais sans eux
il n'y a rien d'esoterique.
En ce qui concerne esoterisme et religion,
le sujet est fort vaste et necessiterait de nombreuses explications. On
s'appuiera ici sur les idees de Rene Guenon, le " docteur de la loi "
de l'esoterisme. Pour lui, par nature, les religions sont exoteriques :
elles sont ouvertes, impliquees dans le monde ou la societe, et
accessibles
a tous. Elle ne seraient en fait que l'exteriorisation d'un contenu
esoterique (qui trouverait sa source, selon Guenon, dans ce qu'il
appelle Tradition Primordiale), dont certaines societes initiatiques
seraient les continuatrices. C'est ainsi que le soufisme est la part
esoterique de l'Islam, la Kabbale celle du judaisme, et la
Franc-maçonnerie celle du christianisme. Cette theorie, pour
contestable qu'elle soit, a toutefois le merite d'insister sur la
difference entre
esoterisme et exoterisme.